Pour combattre collectivement le racisme, il est essentiel d’en comprendre ses mécanismes et de dénoncer les violences systémiques et les inégalités persistantes.
Comprendre le racisme : un fait culturel et social
En anthropologie, le racisme est analysé comme un phénomène social et historique. Dès la seconde moitié du XXe siècle, les anthropologues ont largement contribué à démontrer que les races humaines n’ont aucune réalité biologique. Dans son ouvrage The Race Question publié en 1950 Ashley Montagu a affirmé notamment que le racisme est une construction sociale et politique. Son travail a contribué à la délégitimation des théories raciales et à la reconnaissance du racisme comme un phénomène social produit par des rapports de pouvoir.
L’anthropologie culturelle étudie comment les sociétés ont construit et utilisé la notion de “race”pour asseoir des systèmes de pouvoir et de contrôle. Par exemple, dans le contexte de la colonisation, les théories racistes ont servi à justifier l’exploitation des peuples colonisés. En effet, au XIXe siècle, avec l’essor du colonialisme européen, des théories raciales ont émergé pour classer les peuples en “races supérieures” et “races inférieures”. Ces théories pseudo-scientifiques ont été utilisées pour justifier la domination coloniale en prétendant que les colonisateurs apportaient la civilisation aux populations jugées “primitives”.
Le concept de « mission civilisatrice » était central dans les discours coloniaux français et britanniques. Les colonisateurs prétendaient qu’ils avaient la responsabilité morale d’”éduquer” les peuples colonisés.
Effets psychologiques et institutionnels du racisme
Dans Peau noire, masques blancs et Les Damnés de la Terre, Franz Fanon explore comment le racisme agit non seulement comme un système d’oppression externe, mais aussi comme une violence intérieure qui affecte l’identité et la psychologie des individus. Il décrit comment les personnes colonisées peuvent intérioriser les représentations négatives véhiculées par les sociétés coloniales.
Dans les années 1970, des sociologues comme Colette Guillaumin et Pierre Bourdieu ont analysé la manière dont les institutions perpétuent les discriminations. Leurs œuvres permettent de comprendre que le racisme ne se limite pas à des préjugés individuels. Il est souvent intégré dans les structures sociales par des institutions et des pratiques qui perpétuent des inégalités. La notion de « racialisation » est essentielle. Elle met en lumière la manière dont certaines populations sont construites comme des « autres » dans l’imaginaire collectif, à travers des discours politiques et médiatiques. Cette catégorisation justifie les discriminations et la violence institutionnelle.
Guillaumin introduit le concept de « racisme d’État ». Ce concept désigne la manière dont les politiques, les lois et les pratiques institutionnelles produisent et maintiennent des discriminations raciales. Ce racisme ne repose pas forcément sur des actes ou des discours ouvertement racistes, mais plutôt sur des mécanismes structurels qui privilégient certains groupes au détriment d’autres
L’anthropologie et les sciences sociales permettent donc d’aborder le racisme comme un phénomène construit, enraciné dans l’histoire et perpétué par des mécanismes institutionnels et culturels.
Il ne s’agit pas seulement d’un concept théorique mais d’une idéologie qui se manifeste quotidiennement de façon très concrète.
Racisme structurel et actes discriminatoires
La France a récemment été confrontée à une augmentation notable des actes antisémites et racistes, ainsi qu’à une visibilité accrue de groupes d’extrême droite et identitaires. En 2023, les crimes et délits à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux enregistrés par la police et la gendarmerie ont augmenté de 32 % par rapport à 2022.
Le racisme d’Etat se manifeste par des discriminations à l’embauche, dans l’accès au logement, aux soins, mais aussi par des contrôles au faciès et des violences policières..
Par exemple, une enquête menée entre 2010 et 2011 par le Comité contre les Discriminations, la Ligue des droits de l’Homme et l’Observatoire des discriminations à l’embauche et au logement a mis en évidence des discriminations raciales dans le domaine du logement à Villeurbanne. L’enquête a révélé que les candidats d’origine maghrébine ou arabe étaient défavorisés par rapport aux candidats d’origine française dans 57% des cas lors de la constitution de dossiers de location. Malgré des profils similaires en termes de revenus, de stabilité professionnelle et de garanties, la seule différence perçue : l’origine ethnique affectait significativement les chances d’accès au logement
Les contrôles d’identité par les forces de l’ordre ciblent de manière disproportionnée les personnes perçues comme non blanches, en particulier les jeunes hommes issus des quartiers populaires.
En 2009, l’Open Society Justice Initiative a démontré que les personnes perçues comme noires ou arabes ont jusqu’à 20 fois plus de risques d’être contrôlées que les autres.
En 2016, la Cour de cassation a reconnu l’existence de contrôles d’identité discriminatoires, constituant une forme de discrimination institutionnelle.
Des discriminations existent aussi dans le secteur de l’éducation. Les élèves issus de quartiers populaires et issus de l’immigration sont plus fréquemment orientés vers des filières professionnelles ou des établissements sous-dotés.
On observe en outre un traitement inégalitaire dans le système judiciaire pour les personnes racisées. Une étude de l’Institut des Politiques Publiques (IPP) en 2022 a montré des écarts significatifs dans les décisions judiciaires en fonction de l’origine supposée des accusés
Pour les personnes exilées, le racisme institutionnel s’ajoute aux politiques migratoires répressives. Les lois sur l’immigration en France instaurent des traitements différenciés entre les ressortissants français et les étrangers, souvent justifiés par des motifs sécuritaires ou économiques.La loi Darmanin sur l’immigration et le décret Retailleau ont renforcé les politiques répressives à l’égard des personnes exilées. La loi Darmanin facilite les expulsions et restreint davantage l’accès aux droits pour les demandeurs d’asile. Le décret Retailleau, quant à lui, criminalise davantage les personnes sans-papiers en élargissant les possibilités de placement en rétention administrative.
Au-delà des discriminations dites institutionnelles, les personnes racisées subissent aussi les attaques des groupes d’extrême droite et identitaires.
Extrême droite et groupes identitaires
En France, des lois existent pour réprimer les discours de haine et les actes racistes. La loi Gayssot de 1990 interdit la négation des crimes contre l’humanité, et la loi de 1972 punit les discriminations racistes. Pourtant, ces dispositifs restent souvent insuffisants face à la montée des idéologies identitaires et nationalistes.
Les idéologies des groupes d’extrême droite en France sont généralement fondées sur plusieurs axes :
– Le nationalisme identitaire : L’idée d’une nation homogène fondée sur une identité ethnique, chrétienne et européenne. Elle s’oppose au multiculturalisme et prône une vision essentialiste de l’identité nationale. Renaud Camus théorise notamment la notion de “grand remplacement”. Il affirme que les populations européennes seraient progressivement “remplacées” par des populations immigrées, principalement musulmanes. Cette théorie, sans fondement scientifique, alimente les discours xénophobes.
– L’islamophobie, en propageant l’idée selon laquelle l’islam serait incompatible avec les valeurs françaises, en particulier la laïcité. La haine des musulmans est au cœur des discours de groupes tels que Résistance Républicaine ou Riposte Laïque.
– L’anti-immigration : Les groupes d’extrême droite militent pour des politiques d’immigration strictes, voire nulles en affirmant que l’immigration conduirait à une perte d’identité nationale et à des problèmes sécuritaires et économiques.
Ces idéologies se concrétisent de façon très violente. Ce fut notamment le cas lors de l’attaque du 16 février à Paris. Lors de la projection du film Z organisée par Young Struggle à l’ACTIT (Association Culturelle des Travailleurs Immigrés de Turquie) des militants néo-fascistes prennent d’assaut les lieux. Cagoulés, tessons de bouteille en mains, ils sont une trentaine. Un homme est violemment blessé à l’arme blanche.En partant, les attaquants scandent dans les rues “Paris est nazi”. Ils laissent derrière eux des autocollants du KOB, Kop of Boulogne un groupe d’extrême droite de hooligans du PSG.
Antiracisme : une lutte collective et politique
Pour conclure, le racisme individuel existe, des individus peuvent adopter des comportements racistes, mais ces actes sont profondément enracinés dans un contexte structurel.
Pour lutter contre le racisme, il est nécessaire de sanctionner les actes individuels, mais aussi de remettre en question les structures sociales et politiques qui perpétuent les inégalités.
Cette lutte doit être collective et politique.
Sources
Montagu The Race Question (1950)
Fanon Peau noire, masques blancs (1952) Les Damnés de la Terre (1961)
Landry, La violence symbolique chez Bourdieu (2006)
Balibar, La construction du racisme (2005) La construction du racisme | Cairn.info
OHCHR Le racisme et la discrimination sont l’héritage du colonialisme
Le racisme et la discrimination sont l’héritage du colonialisme | OHCHR
Saada, Un racisme de l’expansion. Les discriminations raciales au regard des situations coloniales
Garbagnoli, Déconstruire le racisme :Colette Guillaumin – la Déferlante (2021)
Déconstruire le racisme : Colette Guillaumin — La Déferlante
Guénif,Aux sources du racisme d’Etat(2020) Aux sources du racisme d’État | Cairn.info
Dhume, Du racisme institutionnel à la discrimination systémique ? Reformuler l’approche critique (2016)
Ministère de l’Intérieur, Les atteintes à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux en 2023
Les atteintes à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux en 2023 | Ministère de l’Intérieur
Wikipédia, Contrôle au faciès Contrôle au faciès — Wikipédia
Astier, Le racisme d’état : hypothèses, critiques et perspectives – Blog Médiapart (2022) Le racisme d’Etat, hypothèses, critiques et perspectives (10/15) | Le Club
Deschamps, “J’ai cru que c’était un attentat”: L’extrême droite attaque une projection de film antifasciste – Streetpress (2025)
.
